Premier de deux articles sur notre voyage à l’Île d’Anticosti du 15 au 23 juin 2021
Le deuxième article qui présente les merveilles de l’île ici: Merveilleuse Anticosti
L’Île d’Anticosti
Au milieu du golfe du Saint-Laurent, l’Île d’Anticosti, ou plutôt Notiskuan en innu-aimun (lieu où l’on chasse l’ours), est la plus grande du Québec avec ses 7,900 km2. Une île mystérieuse et envoûtante que l’on explorera avec beaucoup d’intérêt. Nous donnons congé à nos vélos pour partir à sa découverte en camionnette.
Le Bella Desgagnés
C’est le grand jour, nous appareillons pour Port-Menier sur le bateau Bella Desgagnés. Le Bella Desgagnés est un navire hybride qui approvisionne les villages isolés de la Basse-Côte-Nord. Il transporte des gens avec ses nombreuses cabines et de la marchandise sur son pont cargo. Nous monterons à bord à partir de Sept-Îles vers Port-Menier, la seule ville de l’île d’Anticosti. Il faut réserver les billets quelques jours à l’avance. À vélo, difficile de prévoir la date précise à laquelle nous pourrons prendre le bateau à Sept-Iles. Comme le navire part de Sept-Iles vers Port-Menier une seule fois par semaine, notre fenêtre d’embarquement est quelque peu limitée. Par chance, nous réserverons nos billets juste à temps le jeudi pour un départ le mardi suivant.
L’heure prévue pour l’embarquement est à l’accostage du bateau au port. Le bateau est souvent retardé en fonction de la météo, mais on peut suivre la position du navire en temps réel sur une carte interactive et se présenter au port à l’heure d’accostage. Ce matin, son arrivée initialement prévue à 8:30 a été retardée à 11:00. Il pleut abondamment et l’attente sur le quai avant l’embarquement est pénible. Nous sommes détrempés et transis.

Nos vélos sont chargés à bord directement par la passerelle. D’ordinaire, ils sont plutôt mis dans un conteneur prévu à cet effet. Nos bagages peuvent rester sur les vélos, nous sommes soulagés.
Bien installés dans le salon sur le pont 8, nous observons les débardeurs charger des conteneurs. Aujourd’hui, nous sommes douze passagers. Nous quittons Sept-Îles à 14 h 30. Le navire annonce son départ en faisant retentir sa corne de brume. Le brouillard est épais en cette journée maussade.
La traversée durera huit heures et demie. C’est plus long que d’habitude, la vitesse des navires est limitée à cette période de l’année pour protéger les baleines dans le golfe du St-Laurent. Le souper nous est servi à la cafétéria à 17 h. La mer est relativement calme, le roulis du bateau est faible.
Nous accostons à Port-Menier à 23 h. Le brouillard est épais, il pleut et il vente à écorner les boeufs. Nos phares avant nous sont d’un grand secours. Par chance, le gîte où nous passons la nuit est à un kilomètre et demi. C’est petit, Port-Menier.
Nous voilà maintenant à Anticosti. Notre projet n’en est plus un, il s’est matérialisé ce soir. Nous sommes fébriles et avons hâte de partir à sa découverte. Mais avant, laissez-nous vous raconter un peu de l’histoire et de la vie sur l’île d’Anticosti.
Le cerf de Virginie
Réglons le cas des cerfs de Virginie d’entrée de jeu. Ils sont omniprésents, en ville comme ailleurs. Ils broutent sur les parterres des gens à Port-Menier comme s’ils étaient des animaux de compagnie. Il faut dire que les gens les nourrissent au maïs et aux restes de table végétaux. En nature, ils sont plus farouches, aux aguets mais tout aussi nombreux. En véhicule, la vigilance est de mise pour ne pas les voir de trop près.
D’ailleurs, les cerfs ont modifié l’écologie de l’Île de façon marquée. On étudie leur impact en construisant des exclos. Un peu le contraire d’un enclos. On délimite un territoire clôturé pour empêcher les cerfs de Virginie d’y pénétrer et on laisse la nature aller. Le contraste est saisissant. Dans l’exclos, une variété impressionnante de végétaux y poussent, des arbres feuillus, des arbustes fruitiers alors qu’à l’extérieur, on ne voit que des épinettes rabougries. Les cerfs mangent tout sur l’île et la biodiversité est grandement diminuée. Il n’y a plus d’ours sur l’île depuis les années 1970, faute de nourriture. Pas de jardins ni de fleurs en ville, les cerfs bouffent tout. D’un autre côté, le cerf étant l’attraction emblématique pour les touristes, les gens les nourrissent au maïs au grand plaisir des dits touristes qui peuvent les voir de près, tant ils viennent manger dans leur main.


L’exclos du Lac aux Cailloux, où on étudie, depuis 1983, l’impact de la surpopulation des cerfs de Virginie sur l’écologie de l’île (vidéo)


Port-Menier
Port-Menier est le seul village de l’île. Il est le port d’entrée tant par bateau que par avion. On y trouve l’église, le musée, l’épicerie (et agence SAQ), le magasin général (L’Accommodeur Malouin) et une boutique d’artisanat et souvenirs tenue par Anne-Marie. Nous y reviendrons.
L’auberge Port-Menier, gérée par la SÉPAQ, y est aussi, tout comme l’agence de location de véhicule Sauvageau et le poste d’essence. Un dispensaire qui reçoit la visite d’un médecin une fois par mois prodigue les soins de base aux habitants. On ne passe pas à Port-Menier sans aller manger Chez Mario, le seul resto de l’Île à part celui de l’Auberge Port-Menier. C’est là que les habitants se retrouvent et jasent des dernières nouvelles. Lors de notre visite, des travailleurs de Havre-Saint-Pierre discutaient avec des locaux sous l’oeil attentif de Mario qui faisait le service. L’histoire de notre projet à vélo les a bien intrigués et a alimenté la discussion. De bons moments en leur compagnie.


Le coût de la vie est cher ici à Port-Menier. Tout y est importé. De l’essence, à près de $2,00 le litre, au beurre à $8,39 la livre et le jus d’orange à $8,02.


Les enfants vont à l’école jusqu’en 2e secondaire. Après, ils doivent s’expatrier et souvent, les parents quittent aussi pour ne pas se séparer d’eux. Beaucoup ne reviennent pas vivre ici et l’île se dépeuple. L’hiver, il y a à peine 125 résidents à Port-Menier.
Pointe Ouest
Après avoir pris nos informations d’usage à l’office du tourisme et au bureau de la SÉPAQ, nous prenons la route pour aller visiter l’ouest de l’Île. C’est là que tout a commencé ici à Anticosti. Les premiers arrivants se sont installés à l’Anse-aux-Fraises et à Baie-Sainte-Claire. Aujourd’hui, il ne reste rien de ces hameaux sauf des cimetières modestes. Lorsqu’Henri Menier a pris possession de l’Île en l’achetant d’une compagnie forestière britannique, il a fait déménager le village de Baie-Sainte-Claire à la nouvelle ville de Port-Menier dans un secteur de l’Île mieux protégé des vents et plus propice à l’installation d’infrastructures portuaires importantes. On lui doit la surpopulation de cerfs de Virginie sur l’île. Menier avait fait construire son château non loin de la ville, entre 1900 et 1905. Il n’en reste rien maintenant, sauf quelques souvenirs au musée du village, victime d’un incendie volontaire en 1953 par la Consolidated Pulp and Paper, le nouveau propriétaire de l’île.
Sur la Pointe Ouest, on trouve également une auberge qui fut autrefois la maison du gardien de phare. Le phare n’y est plus toutefois. Le Calou, un crevettier gaspésien, s’y est brisé en 1982.

Anne-Marie
Nous passons notre deuxième nuit à Port-Menier au gîte Chez Anne Marie. Nous avons eu la chance de bénéficier d’une annulation pour occuper la seule chambre libre du gîte. Quelle chance nous avons eu de rencontrer Anne-Marie, la proprio. Elle est bien connue ici. Elle y habite depuis toujours sauf quelques années passées au Saguenay-Lac-St-Jean. Outre le gîte, Anne-Marie a ouvert récemment une boutique d’artisanat et de souvenirs. Elle possède également plusieurs logements qu’elle loue aux travailleurs qui séjournent à Port-Menier. Anne-Marie est une vraie mère pour ses hôtes. Elle nous raconte l’histoire de l’île, ses points d’intérêts, ses trésors cachés.
- « Tiens ! Allez dormir au phare de la Pointe Sud-Ouest. C’est un de mes endroits préférés. Vous y serez seuls au monde. », nous dit-elle.
- « L’île, c’est grand, vous pouvez planter votre tente partout. » ajoute-t-elle.
- « Merci du conseil, soyez sans crainte, nous pratiquons le sans traces, on ne laisse rien derrière »
Anne-Marie a 77 ans. Elle est d’une vitalité incroyable et son accueil est charmant. C’est l’an dernier qu’elle a réalisé son vieux rêve d’ouvrir une boutique d’artisanat. Toujours positive, elle gère sa vie d’îlienne de belle façon. Elle fait du troc, de l’échange de services, entre autres avec le médecin qui lui rend la pareille.
- « Il faut que je bouge », nous dit-elle.
- « J’ai la santé, j’ai été refaite à neuf », s’exclame-t-elle avec un humour sympathique.
Ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants vivent au Saguenay-Lac-St-Jean. Ils communiquent par FaceTime et elle les visite régulièrement. Le mode de vie de la plupart des Anticostiens.

Les cimetières
Tout autour de l’île, de nombreux cimetières y ont été disposés, soit dans les hameaux des premiers colons, soit près des phares où les gardiens enterraient les corps des naufragés décédés et les membres de leur famille. C’est touchant d’y marcher et de voir les épitaphes sur les stèles, certaines datant de 1890.
L’Île d’Anticosti est d’ailleurs surnommée le Cimetière du golfe en raison des nombreux naufrages (plus de.400) autour de l’île survenus au fil des ans, depuis au moins 1690.
Patrimoine mondial de l’UNESCO
L’Île d’Anticosti est présentement en processus d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. On y travaille ardemment. Anticosti est considéré comme un des plus importants laboratoires naturels pour l’étude des fossiles de l’ère géologique de l’Ordovicien. On y trouve les traces de la première grande extinction de masse sur terre où 85 % des espèces vivantes océaniques ont disparues, victimes des changements climatiques à cette époque, il y a 445 millions d’années.
Repères
Municipalité de l’Île d’Anticosti
SÉPAQ Anticosti
Anticosti et ses histoires – La Fabrique Culturelle (Télé-Québec)
Anticosti: rester, revenir mais surtout, choisir. Rencontre avec ceux et celles qui font d’Anticosti un lieu hors du temps – Radio-Canada (Empreintes)
Notre projet Anticosti s’est terminé en juillet 2021. Nous avons publié une série d’articles au file de notre progressions. Voici les liens:
- Projet Anticosti, introduction
- Projet Anticosti, partie 1: De St-Bruno-de-Montarville à Coaticook
- Projet Anticosti, partie 2: De Coaticook à St-Fabien-de-Panet
- Projet Anticosti, partie 3: De St-Fabien-de-Panet à St-Juste-du-Lac
- Projet Anticosti, partie 4: De St-Juste-du-Lac à Sept-Îles
- Projet Anticosti: Merveilleuse Anticosti
- Projet Anticosti, partie 6: La Côte-Nord
- Projet Anticosti, partie 7: Le Saguenay-Lac-St-Jean
- Projet Anticosti, partie 8: De Roberval au parc de la Mauricie
- Projet Anticosti, partie 9: Suite et fin
He! Que c’est intéressant de vous lire!!! J’en apprend toujours et ta façon de raconter me plaît beaucoup! Merci de partager avec nous! Bonne continuation. J’ai hâte au prochain texte relatant votre périple!
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Merci de tes bons mots Réal. La suite viendra sous peu, le temps de terminer l’écriture et le montage des photos.
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Très intéressant. Merci du partage!
Que planifient-ils (la SEPAQ) à propos du surpeuplage des cerfs de Virginie? Ils laissent juste aller ou ils vont gérer d’une façon quelconque?
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Caroline, merci des bons mots. Il faudrait demander cela au Ministère de la forêt, de la faune et des Parcs. Nous n’avons pu que constater la situation. Les exclos existent depuis longtemps et le problème est bien connu. Je n’ai pas entendu parler de solution à part bien sûr la chasse qui de toute évidence n’est pas suffisante. L’introduction d’un prédateur sur l’île semble plus compliqué qu’il n’y paraît. Il ne faut pas créer un problème en essayant d’en résoudre un autre je crois.
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Superbe récit, un univers si proche et si loin du Québec en même temps. Quel dépaysement!!!
Est-ce que le cerf est commercialisé sur l’île, est-ce qu’on peut en manger?
Une idée du nombre de cerfs sur l’île?
Passionnant de vous lire et frappant de voir la différence entre l’enclos et l’exclos.
Bravo !!!!!
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La viande de cerf n’est pas commercialisée et il n’y en a pas au menu des restos. Menier avait importé 220 cerfs aux environs de 1900. Ils sont passés à plus de 150,000 il y a quelques années. Le cheptel est présentement en déclin. Il se chasse entre 6000 et 8000 bêtes par année. Ils commencent aussi à manquer de nourriture.
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Merci de partager ces moments. Je m’ennuie de vous deux. Bonne continuité. Suzanne
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Très intéressant et instructif récit! Dommage pour les cerfs….en espérant que des solutions durables surviennent! Toujours captivant de vous lire! J’adore! Bonne continuité! 🚴♂️🚴♂️👍
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Merci beaucoup. L’homme a créé ce problème, à lui de le résoudre.
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Vraiment très intéressant votre récit. Vous découvrez des coins de pays que peu de gens auront visité dans leur vie. Bonne continuité dans votre périple en vélo. xx
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Merci Johanne, c’est gentil. Le 2e article sur Anticosti te plaira sûrement 😉 c’est pour bientôt.
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